Courrier reçu récemment de Guinée:
Pharaon Dadis Camara
Le masque du dictateur est enfin tombé : venu au pouvoir après le décès annoncé de l’autre dinosaure Lansana Conté, le 22 décembre 2008, le capitaine Moussa Dadis Camara était un inconnu du grand public. Si un coup d’état fait souvent l’objet de doute, celui de Dadis a pourtant suscité dès ses premières heures, une euphorie au sein du bas peuple, de la classe politique et même dans certains milieux diplomatiques.
Dadis séduit, dans son discours de prise ou si vous voulez de confiscation du pouvoir, il dénonce les maux qui gangrènent la société guinéenne depuis l’indépendance en 1958 : corruption, injustice, impunité, insécurité, déficit démocratique, drogue, pénurie d’eau et d’électricité. Il annonce un vaste programme.
Après avoir levé l’interdiction des activités politiques et syndicales, Moussa Dadis président du CNDD (conseil national pour la démocratie et le développement) convie de temps en temps les leaders de l’opposition à de fréquentes rencontres portant sur la vie nationale. La RTG (radio télévision guinéenne) connue pour son traitement partisan de l’information sous le règne du défunt président Conté va jusqu’à couvrir les meetings de l’opposition.
Tout semble aller entre les différents acteurs du pays, cela à la grande satisfaction du peuple.
Le Dadis show
Le capitaine habitue les guinéens et autres téléspectateurs de la RTG à des débats publics télévisés ‘’ le Dadis show’’. Il déculotte certains de ses proches : Idi Amine et le colonel Korka Diallo, les anciens prédateurs de l’économie aussi n’échappent pas à la colère du chef de la junte parmi eux : Tamba Tiendo Millimono (ambassadeur de Guinée à Bissau), mêmes les étrangers se retrouvent dans le viseur de Dadis. L’exemple le plus frappant est celui d’Anatoly Pachenko patron de la société russe RUSAL, spécialiste de l’alumine.
Les débats passionnent les guinéens, car le meneur des enquêtes n’est autre que Dadis lui-même.
Pourtant, ce qui passionnait commence peu à peu à perdre de son audience. Le capitaine et ses shows n’attirent plus la foule. La cause : El Dadis n’a plus de respect pour ses suspects, il les maltraite, les insulte comme ses propres esclaves. Sa colère s’abat un jour sur l’ambassadeur de l’Allemagne à Conakry. Dadis pique une colère noire lorsque le diplomate lui demande s’il sera candidat aux élections au cas où elles ne pourraient pas se tenir en 2009 comme prévue. La folie de celui qui se fait appeler ‘’ président de la république, chef de l’Etat, président du CNDD, commandant en chef des forces armées’’ atteint son apogée lorsqu’il dit à son premier ministre Kabinet Komara, que ce dernier n’est pas culotté pour recevoir une réunion de directeurs de sociétés minières dans son bureau sans autorisation.
L’homme qui renie sa parole
" Je ne serai pas candidat, tout comme les membres du CNDD et du gouvernement », c’est ce que déclarait Dadis aux premières heures de son règne. Il semblait tenir à ses engagements jusqu’au jour où il s’est retrouvé à Boulbinet au cœur de Kaloum. Au cours de ce meeting, le capitaine Camara déclare à l’endroit des chefs de l’opposition « si'ils ne nous respectent pas, je vais ôter ma tenue et me présenter aux élections. Personne n’est né militaire ! ».
Depuis cette date, celui qui aime se faire appeler ‘’le capitaine patriote’’ sème le doute dans l’esprit de la population. Il dit à qui veut l’entendre, qu’il peut être candidat, tout comme le contraire peut se faire. Pour lui « tout est dans les mains de Dieu ».
La RTG met un terme à toute diffusion des activités de la classe politique. La chaîne publique devient un monopole au service du CNDD et de son président. Chaque soir, les guinéens sont bombardés d’une heure de journal télévisé essentiellement consacré à des mouvements de soutien à la candidature de Dadis.
Désormais, l’opposition est la bête noire de Dadis. Il accuse Sidya, Cellou, Fall, Kouyaté…d’avoir participé à la ruine du pays. Leur crime : avoir été des premiers ministres de Conté. Il dit d’eux qu’ils ont perdu leur base et qu’ils tremblent à l’idée de le voir candidat. Son ministre secrétaire permanent le commandant Moussa Keïta ose même dire publiquement à N’zérékoré « Dadis ou la mort ! ».
Dadis toujours lui, cherche toutes les astuces pour se maintenir au pouvoir. Le mensonge devient son arme de combat. Il parle d’abord d’attaque contre la Guinée à partir de ses frontières nord avec le Sénégal et la Guinée Bissau et du côté sud avec la Sierra Léone et le Libéria. Le maître d’œuvre de ces attaques, les narcotrafiquants qu’il combat depuis décembre.
Cependant, la manœuvre ne semble pas convaincre les guinéens. Les radios privées qui organisent des émissions interactives sur le sujet sont priées de se taire, car on estime que l’affaire concerne uniquement l’armée.
Après quelques temps de répit, la junte annonce la découverte de produits toxiques dans maints endroits de la capitale. Là aussi, les narco sont pointés du doigt même si leur parrain est déclaré en fuite du côté du Togo.
Comme tout cela ne trouve pas de bonnes oreilles, on passe à une autre phase : la candidature de Dadis aux élections. La rupture avec les forces vives (ensemble constitué des partis politique, organisations syndicales et de la société civile) semble consommer lorsque Dadis essaie de gonfler le nombre de places au sein du CNT (conseil national de transition). Quelques jours auparavant, lors d’une rencontre sur le plateau de la RTG, la commission ad hoc chargée de diagnostiquer les entraves qui se posent à la transition reconnaissait l’incapacité de tenir des élections en fin 2009 comme proposées dans le chronogramme. En lieu et place, on parle d’un premier tour en janvier 2010.
Dadis accepte l’idée qui est aussitôt rendue publique. Depuis lors tous les observateurs s’en tiennent à la nouvelle donne.
Coup de théâtre, dans de nombreuses interviews et rencontres, le capitaine ravive les craintes. Il déclare qu’en 2009 il n’est pas candidat, mais qu’en 2010 tout est possible. Un autre aspect et non des moindres, est le fait que Dadis répète qu’il ne braquera jamais une arme contre un guinéen. Il poursuit « s’il y a manifestations, je n’enverrai ni l’armée, ni la police. »
L’entrée en jeu des démagogues
L’occasion était donc opportune pour les apprentis démagogues qui rodaient autour de Dadis de déclencher leur machine. En ligne de mire de cette politique : Mohamed Diop (gouverneur de Conakry), Moussa Keîta, Aly Maneh, Baîdy Aribot…pour réussir la parade, la RTG dirigée par Ahmed Barry est mise à contribution. Les événements se succèdent, danses folkloriques, tournois de football, parrainés par le CNDD ne manquent pas. Le parrainage rime avec l’argent et les autorités mettent la main à la poche. L’argent du contribuable guinéen atterrit dans des associations de soutien : MDDR (mouvement Dadis doit rester), MDC (mouvement Dadis candidat). Des sacrifices de vaches en pleins carrefours reviennent au quotidien et les imams à leur tour sont graissés de sucre, de riz pour des bénédictions de circonstance.
Le paysage politique bouillonne. Des partis naissent tous les jours et certains vont jusqu’à soutenir la candidature de Moussa Dadis. Ils ont pour noms : PNR et FDD, d’autres se regroupent au sein des forces patriotiques en opposition aux forces vives.
Le CNDD ouvre plusieurs fronts aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Des hommes et femmes acquis à la cause de ce béret rouge, cherchent à rallier les guinéens à la candidature du capitaine. Presque tout le gouvernement est concerné : le général Sékouba Konaté (2e vice président du CNDD), le PM Komara, Morel, Tibou, Zéynab Saïfon et consorts partent pour Fria, Siguiri…Paris, Washington… le 26 septembre c’est Dadis lui-même en chair en os qui se rend à Mamou et Labé au cœur du Fouta Djallon. Le voyage se fait par voie terrestre, il entend ainsi faire une démonstration de force. Il aura fallu quand même mobiliser environ 2.500 hommes en arme pour assurer le bon déroulement de la fête.
La barbarie Dadissienne
Les forces vives qui sont restées calme depuis longtemps, sans doute à cause du ramadan, décident de sortir de leur coquille pour faire comprendre à Dadis que silence n’est pas peur. Les partis politiques battent le rappel de leurs troupes et choisissent la date historique du 28 septembre pour faire entendre leur voix. En effet, le 28 septembre 1958, les guinéens avaient dit non par référendum à la proposition du général Charles de Gaulle de constituer une communauté entre la France et ses anciennes colonies.
Comme mesures de dissuasion, la junte interdit la rencontre programmée au stade du 28 septembre. La veille même, un communiqué annonce que le lundi 28 est déclaré férié, chômé et payé ce qui est une première dans le pays. A 1h du matin, le capitaine Dadis téléphone à Sidya Touré président de l’UFR (union des forces républicaines) pour lui demander de surseoir au meeting pacifique. Trop tard, répond son interlocuteur.
Le lundi comme convenu, les partisans de l’opposition se retrouvent devant le stade du 28 septembre. En face d’eux, des éléments des forces de l’ordre : policiers et gendarmes. Le commandant Moussa Tiégboro Camara ministre des services spéciaux, de la lutte contre la drogue et le grand banditisme. Il rencontre les manifestants à leur tête les leaders de la classe politique : Sidya Touré, Cellou Dalein Diallo, François Fall, Mouctar Diallo, Aboubacar Sylla et Jean Marie Doré. Le commandant Camara dit être porteur d’un message du chef de la junte, qui indique qu’en raison du caractère historique de la journée du 28 septembre, le jour ne saurait être perturbé. Laissez-nous nous entretenir avec nos militants, après quoi on leur dira de rentrer, affirme un politicien.
La suite, je l'ai déjà évoquée.
La suite, c'est le stade de Conakry avec toutes ses horreurs....
La suite peut-elle nous laisser indifférents ? Pourtant, dans la tourmente de l'actualité, la suite est déjà oubliée !